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Dissoner

[Version du 25.04.23]

Un des objectifs du Mouvement pour des Savoirs Engagés et Reliés est de développer et nourrir les relations entre personnes impliquées dans la production des savoirs.

Si vous vous posez des questions sur vôtre rôle dans la production des savoirs “académiques”, vous avez des doutes sur les impacts et le sens de vôtre travail, si vous questionnez la prise de décision concernant les thématiques et la manière de produire des connaissances dans vôtre institution, vous n’êtes pas lea seul·e et vous pouvez :

Témoignages de dissonant·e·s

Elsa Jourdain.
Je dissone car j’ai une grande sensibilité et j’accorde beaucoup d’importance aux liens humains. Or les liens humains ont disparu de mon environnement professionnel où toutes les démarches impliquent la mise en application de procédures à effectuer en ligne via l’utilisation de tout un panel d’interfaces et de logiciels qui changent régulièrement : pour badger et « prouver » que je travaille (alors que le fait que je « badge » n’est en aucune mesure garante de la productivité de mon travail, bien au contraire), pour rendre compte du temps que j’ai consacré à tel ou tel projet de recherche, pour réserver ma chambre d’hotel via les « marchés » soi-disant moins couteux, pour demander l’autorisation de télétravailler, pour demander des financement pour mes projets de recherche, pour soumettre un publication scientifique, pour déposer mes dossiers d’évaluation, pour évaluer moi-même le travail de mes « pairs »… Sachant que je souffre de troubles de convergence oculaire, chaque minute passée sur écran est source de fatigue qui nuit à la réalisation de mon « vrai » travail qui devrait consister à « faire de la recherche ». Je dissonne car je trouve normal de m’impliquer personnellement et émotionnellement dans ma recherche. Je dissonne car je suis intimement convaincue qu’un chercheur perd en créativité s’il est contraint de travailler à des horaires obligatoires. Je dissonne car je considère qu’une personne électrosensible a sa place dans mon unité de recherche et mérite qu’on lui permette de travailler dans des conditions compatibles avec sa santé, et cela grâce à du lien humain, sans avoir à affronter des montagnes d’obstacles médico-juridico-administratifs au motif d’une égalité nécessaire. Je dissonne car j’estime que les compétences d’un chercheur doivent être valorisées au mieux au lieu de vouloir faire entrer chacun dans un « cadre » administrativo-managerial étroit et inapproprié. Je dissonne car je rejette la notion arbitraire d’excellence et la compétition avec mes collègues de labo. Je dissonne car je trouve essentiel de m’interroger sur l’impact de mes recherches et celles de mon institut. Je dissonne, enfin, car j’estime que l’expertise nourrit profondément ma recherche et que je ne souhaite pas passer mon temps à rendre des comptes sur ce sujet.

Ressource que je trouve utile :

  • Isabelle Stengers, Une autre science est possible
  • Le MSER et mon syndicat SUD Recherche : rejoignez-nous !

Je m’appelle Ewa Zlotek-Zlotkiewicz, j’ai un doctorat en biophysique cellulaire, mais j’ai bifurqué après ma thèse. Aujourd’hui je partage mon temps professionnel entre un post à Klask ! Docteur·e·s et innovation sociale et une activité indépendante d’intermédiaction science-société dans la coopérative d’activité et d’emploi L’Ouvre-Boites.

Je n’ai jamais été vraiment motivé par le “rêve du scientifique fonctionnaire”. J’ai adoré faire de la recherche, être à la payasse, faire des ponts avec la société, participer à des conférences etc. Mais j’ai vite vu que si je continue dans l’académie, SI j’ai la grande chance d’avoir un poste, après d’énormes sacrifices et sous des injonctions paradoxales, je ne pourrais pas continuer à faire ce que j’aime le plus en recherche. Malgré la stimulation intellectuelle et les rencontres incroyables que j’ai pu faire, j’ai trouvé que le milieu de la recherche était rude, trop pour que je puisse m’y épanouir. En plus de ces dissonances très personnelles (mais qui résonnent à d’autres niveaux !) j’ai beaucoup questionné le fait que, en tant que chercheur·e·s en France, nous ne produisons pas des communs. Je trouve que la science va trop vite, qu’on ne se pose pas assez de questions ou on veut la faire aller, avec qui, comment et pourquoi. Les résultats de cette précipitation sont délétères pour les scientifiques, leur travail, mais aussi la société, car le contrôle des connaissances est dans les mains d’une poignée de personnes (et je ne suis pas sûre d’avoir les mêmes valeurs qu’elles).

Ressource que je trouve utile : J’ai écouté et réécouté la conférence “Faut-il continuer la recherche ?” d’Alexandre Grothendieck au CERN de 1972. Lien

Crédit photo : Baptiste Soubra

Je m’appelle Mélodie Faury, formée à la biologie moléculaire et cellulaire, j’ai soutenu une thèse en études de sciences à partir de la question « que signifie être biologiste ? », je travaille aujourd’hui au soutien des recherches participatives à l’Université de Strasbourg, j’enseigne dans le cadre du Master Sciences-Société et je travaille à des formes de fabulation, vers la joie politique.
Je dissonne car : Je travaille sur les récits, les formes orales et écrites, les manières de dire l’indicible, de faire compter ce qui est silencié, anéanti, de répondre aux fantômes, de mener l’enquête sur les matrices de domination qui nous fabriquent, les êtres qui nous agissent, la possession et la manière de retrouver une puissance d’agir face à ce qui nous traverse, collectivement.
Je cherche les moyens matériels pour faire commun, situation par situation – et surtout dans mon lieu, celui de l’enseignement, les recherches et sciences participatives et la fabulation.
Je suis dans un lieu “entre”, que nous habitons grâce à nos amitiés, nos engagements, au soin que nous portons à nos attachements – des alliances qui démultiplient les modes d’existences et leur soutenabilité – même quand nous sommes encore illisibles dans les trames dominantes.
J’écris, j’enquête, je cherche, je raconte, je chante, je brode, tricote et recouds, je fabule, je poète, j’écoute. Les voix multiples, les peuples d’êtres-autres-qui-comptent qui nous (re)constituent.
Avec des ami.es, nous instituons l’ininstituable, nous activons l’indéfini – en co-fondant l’Institut du vide et des savoirs fragiles / des désirs et voix multiples / des mondes possibles et des savoirs libres

Ressources que je trouve utiles : le travail d’Isabelle Stengers, d’Emilie Hache, de Donna Haraway, Benedikte Zitouni et Vinciane Despret.

Je m’appelle David Gabriel Bodinier. Ma première rencontre personnelle avec des chercheurs-euses, c’était avec le mouvement urbain la [Rage du Peuple] dans le quartier de NOailles à Marseille (https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Rage_du_peuple). Des sociologues sont venus nous rencontrer car ils étaient intéressés par nos activités qui mêlaient cultures urbains, mouvements d’habitants et altermondialisme. Au début nous avons eu beaucoup de méfiance car nous confondions sociologue et RG ! Malgré tout, c’est là que j’ai commencé à découvrir la recherche action participative. J’ai commencé à faire des récits de vie avec les membres de mon groupe : Keny Arkana, Faianatur, Sista Micky… La recherche-action participative m’a permis d’avoir de la réflexivité sur les raisons profondes de mon engagement et mon parcours de vie. Je me suis alors intéressé aux enjeux de formation des leaders sociaux avec Marti Olivella à Barcelone tout en contribuant au secrétariat du forum social mondial. J’ai rejoins l’Association internationale de techniciens, experts et chercheurs (AITEC) où j’ai découvert l’approche française de l’expertise citoyenne. J’ai ensuite co-monté une experimentation des méthodes du community organizing à Grenoble incluant des liens avec des chercheurs (Hélène Balazard, Julien Talpin…) permettant une plus grande diffusion des méthodes du pouvoir d’agir en France. Depuis 2012, je travaille pour une association Next Planning pour soutenir des mouvements d’habitant-es dans les quartiers populaires sous la forme d’Atelier Populaire d’Urbanisme (APU), Assemblée des communs, table de quartiers…